Depuis la fin de la guerre froide et plus particulièrement sous l’administration Clinton, la démocratie et son corrélaire les Droits de l’Homme, sont devenus les critères par excellence pour évaluer, en fait mesurer, la valeur d’un pays. La majorité des élections qui se sont tenues hors du cadre occidental depuis cette période ont régulièrement fait l’objet de surveillance et de critiques de la part des Etats-Unis et des pays de l’Union Européenne. De plus, si un chef-d’État montrait trop de vigueur dans ses décisions ou sa position, l’étiquette de dictateur ou de régime anti-démocratique était rapidement appliquée.
En fait, on peut même remonter jusqu’à la première vague des Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) de la Banque Mondiale (BM) et du Fonds Monétaire International (FMI) pour trouver le sacro-saint principe de démocratie comme condition essentielle à un financement de la part de ces institutions. La démocratie, même plus que les droits de l’Homme, était et est le critère par excellence de respect et d’égalité. En bref, les pays occidentaux, dans une tradition centriste bien à eux, jugent un gouvernement en fonction de principes et valeurs qu’ils considèrent comme universels.
Cependant, peut-on affirmer qu’ils demeurent en bonne position pour évaluer d’autres pays selon ce critère? Surtout, est-ce encore légitime pour l’Occident de se percevoir et de s’affirmer comme la référence, le chef de file de la démocratie dans le monde?
Pour répondre simplement : non. Les élections de 2000 et 2004 aux Etats-Unis ont révélé des cas de fraude, de financement et d’intimidation qui auraient fait la fierté de plus d’un dictateur ; le Canada a été pris au cours des trois dernières années avec le « Scandale des Commandites », révélant des pratiques anti-démocratiques au cours du référendum sur la souveraineté du Québec en 1995 et au cours des années qui ont suivies ; et que dire de cette Europe si sévère envers les nouveaux adhérants à l’UE, particulièrement sur le respect des critères démocratiques et économiques qu’elle impose, mais qui ne parvient pas à respecter elle-même ces critères, circa l’Allemagne, la France et l’Italie.
Le cas des pays de l’UE est particulièrement intéressant surtout situé dans la perspective de l’admission des Dix en 2004. En effet, de nombreux doutes étaient soulevés concernant l’éligibilité de ces pays, surtout celle des pays baltes, anciens satellites soviétiques, et leur capacité à être pleinement démocratique. Et cela vaut aussi pour les futurs candidats comme la Bulgarie, la Croatie, la Roumanie et surtout, cette Turquie traditionnellement redoutée par l’Europe.
Mais comment exiger un respect des conditions de démocratie de la part de ces pays si on est pas en mesure de le faire soi-même? Ne faut-il pas prêcher par exemple, surtout si est perçu comme une puissance de premier plan? Normalement oui, mais c’est loin d’être le cas de l’Occident actuellement.
Les cas de financement électoral frauduleux affligent le gouvernement Blair en Grande-Bretagne ; l’Allemagne, hormis une montée de l’extrême-droite dans certaines régions de l’Est, s’est retrouvée avec des scandales de corruption politique – le dernier volet impliquant l’ex-chancelier Gehrard Schröder et le géant russe Gazprom – et aux élections de 2005, prisonnière de son propre système électoral. En effet, plus d’une semaine s’est écoulée avant qu’Angela Merkel soit déclarée gagnante et le pourcentage des votes a paralysé le gouvernement pour près de deux mois, le temps de négocier la formation d’une Grande Coalition dont la stabilité, en passant, demeure précaire. Si on ajoute que les élections régionales conféraient à chaque électeur 96 VOIX, créant une confusion totale tant dans le choix des candidats que dans la méthode à suivre, l’Allemagne n’a pas vraiment de leçons à donner en termes de logistique démocratique…
Bien évidemment, il ne faut pas oublier l’ami Berlusconi, l’inspiration pour cette chronique, qui a subi la défaite en raison des propres règles qu’il a imposé et surtout, qui ne s’est pas gêné pour abuser de son contrôle médiatique pour mousser sa candidature. Un comportement digne d’un enfant gâté qui, habitué d’être le roi, refuse ses propres règles lorsque celles-ci contreviennent à l’atteinte de ses buts. Ajoutons son refus de céder le pouvoir après la défaite – geste humiliant pour l’Italie et l’UE – et il est difficile de concevoir comment l’UE peut se donner le droit de taper sur les doigts de Loukachenko en Biélorussie, de refuser l’élection du Hamas en Palestine ou espérer collaborer à la formation d’un gouvernement en Irak.
Finalement, le décroissement régulier du taux de participation aux diverses élections nationales (j’exclus délibérément les élections européennes qui frôlent à grand peine les 20%), démontre que le malaise va au-delà des institutions et de ses acteurs, la population elle-même acceptant l’exercise comme automatique.
Il semble que nous sommes en plein cœur de cette crise de la modernité telle que décrite par Léo Strauss, à savoir la remise en cause de l’universalité des principes occidentaux, et avec raison. À l’ère de la mondialisation – certains préfèrent dire globalisation – chacune de nos déclarations et de nos actions peuvent être disséquées et analysées, nos erreurs ou double discours exposés, révélant une hypocrisie politique plusieurs fois centenaire et l’illégitimité de notre comportement. Pas besoin de décrire l'effet sur "l'universalité" de nos valeurs politiques...
Si l’Occident désire toujours utiliser la démocratie comme valeur politique phare, s’il veut sauver une partie de sa crédibilité, alors il est impératif d’être conséquent à notre discours politique. C’est seulement ainsi qu’il nous sera possible de répondre positivement à cette question : We talk the talk but can we walk the walk?
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