L’histoire commence avec l’explosion d’un camion cylindre à Nairobi, au Kenya, en juillet 1998. L’attentat terroriste, premier volet d’une attaque quasi-simultanée sur des ambassades américaines, incitera le gouvernement Clinton à bombarder, près d’un mois plus tard, des industries chimiques au Soudan et un camp de terroristes en Afghanistan.
C’est avant le 11 septembre. Avant les invasions préemptives du 21e siècle. Et sous une administration qui a sacralisé le respect des droits de l’homme comme concept de politique étrangère. Pourtant, cette riposte américaine allait établir les nouveaux paramètres de sécurité pour les pays « développés ».
En effet, il serait dorénavant possible d’enfreindre la souveraineté des États pour riposter à des acteurs non-liés à une structure étatique, notion qui trouverait sa prolongation en Afghanistant et Irak dans le contexte post-11 septembre. Et mine de rien, la liste des États-voyous (Rogue States) avait sa première publication avec la Syrie en haut de la liste…
À la fin de l’année 2000, Israël concédait la première défaite militaire de son histoire, écoeurée et fatiguée par une guerre d’usure qui perdurait depuis 1982. En effet, un Hezbollah tenace avait forcé l’armée israélienne à se retirer du sud-Liban. Concession diplomatique ou retrait stratégique, ce geste a galvanisé l’importance du Hezbollah dans la région, une importance que peu d’entre nous arrivent à bien comprendre, et blessait l’orgueil et la fierté jusque-là immaculée de Tsahal. Une défaite comparable à celle de l’Allemagne lors de la première guerre mondiale, en ce sens ou la défaite n’a pas eu lieu sur le terrain mais dans les couloirs de la diplomatie. Le genre de défaite qui attise la rancœur…
Le Hezbollah est une organisation terroriste très particulière car dans les faits, elle tient plus du groupuscule paramilitaire que du groupe terroriste. En effet, le Hezbollah c’est plus que des attaques terroristes – kamikazes ou autres – c’est en fait un mini-gouvernement : c’est un système de santé bien développé, qui inclut la construction et la gestion d’hôpitaux; la construction et la gestion d’écoles – non-religieuses – primaires et secondaires; c’est un centre d’emplois pour les démunis; c’est un centre d’aide sociale. Le Hezbollah, c’est un micro-État providence dotée d’une armée et galvanisée non pas par une foi coranique, mais par une haine aveugle envers Israël. C’est une entité autarcique mais non étatique.
Ce dernier point est très important car il constitut en soi la véritable raison pourquoi l’intervention israélienne au Liban n’est ni légitime, ni légale. En fait, elle contrevient à toutes les conventions, traités et règles – écrites ou non – qui régissent les relations inter-étatiques, notamment en termes belliqueux. L’attaque israélienne au Liban est une déclaration de guerre formelle : un État attaquant un autre État, sans préavis. Cependant, cette attaque est une riposte envers une entité non-étatique, envers un acteur non-gouvernemental qui n’est en rien lié aux conventions et principes des relations internationales.
C’est ce qui rend les négociations actuelles du Conseil de Sécurité complètement loufoque puisque le Hezbollah n’y a aucune représentation et que le Liban n’a rien a négocier étant la victime d’une attaque qui, à première vue, n’a aucun sens stratégique. Une guerre totale pour intimider les autres acteurs de la région? La guerre de 6 jours et celle du Yom Kippour avaient déjà fait le travail. Pour intimider les groupes terroristes? Le Hamas, principal adversaire d’Israël depuis 2000, est désormais un gouvernement et ses attentats ont désormais valeur de déclaration de guerre. Un tel geste plairait à Israël et à son allié américain – une véritable justification pour une intervention militaire – et je crois que les hauts-membres du Hamas ont au moins assez d’intelligence politique pour éviter de faire un tel cadeau à leurs adversaires.
Donc pourquoi une réaction si démesurée? Oui, Israël a comme crédo Plus jamais et elle ne donnera jamais plus à ses adversaires, antisémites ou non (d’ailleurs ce mot, comme le terme terroriste est tellement utilisé à toutes les sauces qu’il en perd sa véritable valeur), la moindre odeur de sang, d’impression de vulnérabilité. Et dans le contexte historique et géopolitique, il est difficile de leur en vouloir. Mais l’action au Liban va bien au-delà de ce cadre.
En effet, je crois que la véritable source de cette attaque se trouve dans les visées américaines dans la région et leurs deux principales faiblesses militaires : (1) l’amincissement des troupes américaines étirées et sur-utilisées dans l’implantation de la pax americana et, (2) leurs retentissants insuccès en Irak.
C’est bien connu, les Etats-Unis cherchent depuis plusieurs années à mieux s’implanter au-delà d’Israël au Moyen-Orient et surtout, mettre fin à un groupe de dissidents (la Syrie et l’Iran) qui constitut non seulement une épine dans le pied diplomatique américain mais aussi qui représente une menace de violence non-négligeable envers leurs. La dernière année ayant vu les Départements d’État et de Défense américain jongler avec l’idée d’étendre les opérations en Irak à la Syrie et l’Iran développer des capacités d’armemement nucléaire, il apparaît évident que l’administration Bush et ses faucons piaffent d’envie d’imposer leur volonté à ces deux renégats.
Cependant, la réalité à tôt fait de les refroidir. Les rapports sur la situation irakienne se font pire à chaque jour et les troupes américaines sont tellement déployées dans diverses missions de paix que les nouveaux effectifs proviennent de la National Guard. Prochaine étape, la conscription…
Donc dans cette situation, que faire? Traditionnellement, la porte vers la Syrie est le Liban. À mon avis, et ce sans tomber dans les théories de complots, l’ampleur et l’importance des opérations de Tsahal au Liban ont pour but non seulement de permettre à Israël d’affaiblir si ce n’est d’éliminer le Hezbollah, mais aussi de permettre aux américains, par personnage interposé, de se donner un tremplin vers la Syrie. Et l’attitude très agressive et absolument intransigeante des Etats-Unis dans ce dossier, particulièrement celle de Condoleezza Rice, me paraît être un bon indicateur de l’importance de ce dossier pour les intérêts de l’administration Bush. Stratégiquement, c’est ce qui me semblerait le seul argument logique pour une telle invasion, pour une telle opération militaire. Mais qui a dit que la guerre était logique…
En attendant, les lois de la guerre s’en trouvent une fois de plus profondément modifiées, une étape de plus dans la réforme du droit international imposée par le pouvoir hégémonique et ses sbires, qui après avoir reçu une claque au visage, s’est empressé de vouloir changer les règles du jeu moderne, règles qu’il avait lui-même établis et acceptés.
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